Babel – R.F. Kuang

Robin, orphelin Chinois, est recueilli par un éminent professeur d’Oxford, qui souhaite le faire entrer dans la prestigieuse Babel, siège de l’argentogravure, pratique consistant à graver des mots et leur(s) traduction(s) sur des barres de fer pour faciliter la vie de milliers de gens.

Couverture Babel

Étant intéressée par les langues, et en apprenant moi-même six actuellement, j’étais particulièrement curieuse de ce roman de fantasy historique. Babel se situe en effet dans l’Angleterre de la révolution industrielle, tout en lui apportant une touche de magie, celle des mots. En effet, le but des chercheurs de Babel est de trouver des appariements qui permettraient de faciliter la vie des gens. Du moins de ceux qui peuvent se le permettre. C’est dans cette partie que réside les éléments les plus passionnants du roman : la recherche étymologique, l’explication des mots, de leur définition, sont brillantes. Et mettre le langage au cœur du récit, c’est ce que l’on peut attendre d’une œuvre véritablement littéraire ; c’est dans ce cas précis très « premier degré », mais l’auteure le fait très bien, et intéresse son public.

Ne vous attendez pas à une grosse dose d’action dans ce roman : les choses se mettent en place à leur rythme, et Babel est un pavé. Il faut pouvoir prendre le temps de bien le savourer, surtout si vous vous intéressez, comme moi, à l’usage du langage.

Attendez-vous cependant à voir se développer Robin, le protagoniste de notre histoire, et ses relations avec les autres personnages : le professeur Lovell, qui le recueille, mais aussi ceux qui deviendront ses amis à Babel, Ramy, Letty et Victoire. La progression est intéressante à suivre, et aboutit à un final explosif et bienvenu. Mais le roman prend son temps, et je pense qu’il faut le savoir avant d’en entamer la lecture, au risque de peut-être être déçu. Pour ma part, cela a été plutôt bienvenu, le roman semble bien écrit, car la traduction est très agréable elle-même. J’ai eu le sentiment de lire à un rythme lent mais qui me convenait ; Babel m’a donné envie de prendre mon temps, ne pas me presser.

Pourtant, au bout d’un moment, j’ai commencé à me sentir mal à l’aise, sans forcément mettre de mots précis sur ce malaise. Ce n’est qu’en terminant le roman et en cherchant quelques avis plus nuancés que ceux, dithyrambiques, de la plupart des gens, que j’ai compris. Et là, je risque de me faire des ennemis. Mais tant pis.

Je précise d’entrée de jeu que j’ai apprécié ma lecture, que je lui mettrais la note de 15/20, que je le recommande, et que je ne m’apprête pas à démonter entièrement le roman, mais pour moi, Babel a un défaut majeur : il manque cruellement de nuance.

Il faut savoir que le roman aborde notamment la colonisation/décolonisation, en s’appuyant sur ce qui entoure Babel, qui va chercher les jeunes dans les pays colonisés par l’Angleterre, car les appariements ne fonctionnent que si la personne qui le crée peut effectivement penser dans cette langue, et même rêver dans cette langue. Il faut donc de parfaits locuteurs, et les natifs sont prisés. Cela soulève de grandes questions, très intéressantes par ailleurs. Babel soulève effectivement des interrogations essentielles, et je dirais que la seule nuance que l’on peut avoir des thèmes abordés se trouve dans le développement psychique de Robin, tiraillé entre sa soif d’apprentissage, son envie de travailler dans l’argentogravure, et le sort de ses compatriotes et autres amis étrangers. 

Pour le reste, aucune nuance. Certes, l’auteure s’attaque à des thématiques monstrueuses qui ont fait souffrir des peuples entiers. Mais pourquoi faire en sorte que les personnages blancs soient forcément mauvais (à une ou deux exceptions près, parfois parce qu’ils sont pauvres) et incapables de changer ? Pourquoi faire en sorte qu’une personne de couleur, ou née dans une colonie, soit forcément bonne (et là je ne suis pas sûre qu’il y ait d’exceptions) ? Pourquoi rendre la méchanceté de ces personnes de couleur -car certains sont fort peu sympathiques – louable, et la tentative de compréhension des personnages blancs totalement vaine ? Je trouve que nuancer quelque peu tout cela aurait donné une profondeur supplémentaire au roman, qui l’aurait élevé au rang de chef-d’œuvre, peut-être. 

Mon sentiment est que la bien-pensance l’a emporté. On a aujourd’hui un modèle de pensée unique qui monte de plus en plus, qui consiste à tellement critiquer ce qui se faisait avant (souvent à raison, entendons-nous bien) qu’on en oublie de nuancer tout de même un peu, et d’inclure ce qui se fait de positif.

Il ne s’agit pas ici de nier les souffrances des peuples colonisés ou des expatriés (je l’ai été, et malgré de bonnes conditions et une culture pas trop éloignée, j’en ai souffert, alors je n’ose pas imaginer comment cela peut être pour d’autres qui vivent la situation dans de moins bonnes conditions), mais simplement de demander à ne pas répéter les erreurs des autres. À force de penser « blanc = méchant, personne de couleur = gentil », nous allons reproduire les erreurs du passé. D’abord parce que cela en devient du racisme dit « anti-blanc » (voir Comment définir le racisme, par le Musée de l’histoire de l’immigration), ensuite parce que cela renforce l’agressivité entre groupes sociaux, ce qui n’est, à mon sens, pas le but recherché.

Je ne sais pas vous, mais je suis pour ma part une grande idéaliste, et je ne comprends pas ce monde qui, dès qu’il combat un extrême, part vers l’autre extrême, n’aboutissant ainsi à rien. Pourquoi ne peut-on pas juste vivre ensemble et respecter les autres, quels qu’ils soient ? Quand je vois quelqu’un, je remarque à peine sa couleur de peau, et je me fiche de son genre, de sa sexualité : ce qui compte, c’est comment agi cette personne. 

J’ai conscience de ne pas être assez renseignée sur le sujet, et de ne pas être la mieux placée pour parler colonialisme et racisme. Notre société a encore de grandes améliorations à faire, mais il me semble important aussi de mettre en avant les personnes qui font le bien autour d’elles. J’espère ne pas avoir commis de gaffe dans ce billet, et de n’avoir heurté personne, car ce n’est absolument pas mon intention. Si vous avez lu jusqu’ici, je vous remercie, et si vous souhaitez commenter, je vous demande de le faire avec respect, que ce soit envers moi ou envers toute autre personne qui aurait commenté. Merci.

À bientôt,

Kat

R. F. Kuang, Babel, Éditions De Saxus, 2023, 768 pages.

D’autres en ont parlé : La Garde de Nuit (vidéo – spoilers) – Lena au puits des mots – Le Nocher des livres – Carolivre – Books are my Wonderland

2 commentaires sur “Babel – R.F. Kuang

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